À cause d'un programme promotionnel chargé, c'est pas une ni deux mais trois personnes qui ont interviewé Mike Portnoy au Plaza Crown ce jour là. Cela explique l'absence des questions habituelles de Music Waves. Je m'en excuse par avance. L'interview sera donc également disponible dans une version presqu'identique à celle ci sur les webzines suivant: U-zine et Pavillon 666.Pour commencer, comment s’est déroulé le processus d’écriture du nouvel album ?De la même façon que les albums des autres années. Nous entrons en studio les mains vides, partons de brouillons, et puis on écrit et on enregistre en même temps. On commence avec la musique, en gros, on collabore sur un million d’idées, on crée une chanson, et quand la musique est prête on commence à enregistrer la basse, la batterie et la guitare, puis on avance jusqu’à la chanson suivante ou on refait le même processus. Puis à la fin on ajoute les parties chantées… En fait, la même chose que pour les albums précédents. Nous avons une bonne alchimie, une bonne façon de travailler, confortable pour nous, donc on ne veut pas vraiment changer.
Lorsque vous êtes dans le processus d’écriture, avez-vous des limites, à partir desquelles vous vous dites : « ah non, on ne peut pas mettre ça dans une chanson » ?Généralement, le mot d’ordre dans Dream Theater est de ne pas avoir de limites, de pouvoir tout voir arriver. Mais bien sûr, nous avons certaines frontières. Si quelqu’un arrive avec une idée qui ne correspond pas, ou est juste nulle, on s’oppose. En particulier John Petrucci et moi, en tant que producteurs on dit si quelque chose va ou ne va pas. Il n’y a pas de limites vraiment, mais plutôt une ligne que l’on dessine un moment donné…
Toujours sur ce processus d’écriture, beaucoup des nouvelles chansons de l’album sont des épics. Est-ce que c’était une volonté initiale du groupe ou les idées sont-elles arrivées comme cela ?Concernant les longs morceaux, c’est habituellement la manière dont on compose, le plus naturel pour nous. Si on s’assoie et qu’on commence un morceau, sans avoir de direction ou d’idées définitives, cela deviendra naturellement un long morceau. C’est plutôt lorsque l’on fait un morceau court que l’on se réunit et que l’on se dit intentionnellement « essayons de faire un morceau court ». Mais les longs viennent naturellement quand on part de brouillon, par exemple quand on commence un album, la première chanson que l’on compose ensemble est toujours énorme et longue. Si tu regardes tous nos album, le premier morceau composé est toujours long, simplement parce qu’il y a toutes ces idées qui sortent. Cette fois, il y a quatre véritables épics. Quand on a commencé l’album je me suis dis qu’il serait sympa d’avoir de longs morceaux, et c’est comme ça que ça s’est terminé.
Toujours concernant ces épics, comment vont-ils s’insérer dans vos concert ? Vous avez déjà de nombreuses longues chansons à insérer car elles sont des classiques.C’est toujours un dilemme. Nous avons tant de chansons, et quand elles sont si longues cela prend une grande partie de la setlist. Je pense que la seule solution est d’alterner les setlist, ce que nous faisons, afin de tout pouvoir jouer un moment ou l’autre. Et, comme vous le savez peut-être je suis très soucieux de ce qui a été joué la fois précédente dans une ville, pour que ce qui n’a pas été joué la fois précédent le soit la suivante, tu vois ? Afin de changer un maximum de visites en visites…
Ou alors jouer des concerts de cinq heures ?(Rire) Ouais, c’est ce qu’on pensait avant. Que c’était la solution. Mais en vieillissant, on se rend compte que cela peut-être… Physiquement, c’est juste trop crevant.
Concernant la setlist, est-il possible de voir la suite des Alcooliques Anonymes jouée en entier, maintenant qu’elle est achevée ?Définitivement, dans le futur. Je veux définitivement mettre les cinq chansons ensembles et faire tout en entier, mais probablement pas sur cette tournée, puisque c’est la tournée Progressive Nation et je ne veux pas utiliser une si grosse partie du set juste pour ça.
Et peut-on espérer un enregistrement, CD ou DVD, avec toute la suite ?Oui, absolument, c’est totalement l’idée, mais cela doit être des versions live car les versions studio sont sur différents labels donc on ne pourrait pas les combiner. Mais surement un enregistrement live.
Sur cet album ce sont les dernières étapes de la suite (Mike : Oui, les étapes X, XI, XII). Qu’est-ce que ça fait de mettre un terme à cela ?C’est un grand soulagement. C’est comme un devoir qui plane au dessus de ma tête depuis sept ans. C’est bon de pouvoir le finir et le rendre. C’est aussi très épanouissant, au niveau de la thérapie.
Toujours sur Black Clouds & Silver Linings, il y a sur ce disque quelques passages très agressifs, très heavy, notamment sur Nightmare to Remember. Es-tu attiré par un coté de plus en plus agressif chez Dream Theater ?Nous avons toujours eu des passages heavy. Si tu vas voire sur notre tout premier album, la toute première chanson, A Fortune In Lies, c’est … (il tape sur ses genoux l’intro de la chanson), c’est des influences thrash. C’est une version primitive, la production n’était pas énorme, mais c’est aussi heavy que tout le reste. Ça a toujours été là. Tous nos albums possèdent ces éléments. Il n’y a rien de nouveau, et c’est évidemment quelque chose que j’adore, je suis définitivement le plus gros métalleux du groupe. John Petrucci, même s’il n’écoute pas autant de métal que moi, il adore le son d’une grosse guitare heavy, c’est l’une des choses qu’il aime dans la guitare. Concernant les vocaux, lorsque nous avons des parties plus agressives, le chant clair de James s’éloigne de cette agressivité, et c’est pourquoi je chante en plus parfois dans des chansons comme The Glass Prison, Constant Motion, Dark Eternal Night, ou Nightmare to Remember mon chant est plus prédominant pour donner une réponse plus agressive au chant de James.
Mais as-tu déjà pensé à inclure des éléments death, voire black métal dans Dream Theater. On voit de plus en plus de groupes de death progressif…J’adore tout ce que ces groupes font comme Between The Buried & Me ou Opeth, qui sont des groupes réellement progressifs, et j’ai une profonde admiration pour ça. Les autres [membres du groupe] pas tellement. Sur cet album je fais des parties de batterie très rapide, il y a du blast beat pour la première fois, et la partie que je chante sur Nightmare to Remember était à l’origine dans un style très Opeth mais les autres était là « non, non, on ne peut pas mettre ça… ». Mais sur la version originale, je chante avec ce chant ‘growlé’, mais les autres ne pouvaient pas le supporter donc…
Et ça va être disponible ? La version ‘death’ ?Peut-être ! Peut-être que je pourrais le mettre en téléchargement sur mon site… Du coup, j’ai fais un compromis avec un hurlement à la Rob Flynn ou James Hetfield, plutôt dans ce genre là. Je pense que ce que vous écoutez là sera sans doute le plus extrême possible pour Dream Theater. La batterie, mes vocaux occasionnels, mais ça ne deviendra sans doute jamais plus extrême que cela. Surtout car les autre ne sont pas très fan de cela.
Il a également été dit que vous entrerez dans le style gothique sur cet album…Moi, j’ai dis ça ? Je ne pense pas. Je pense que c’est plutôt Jordan [Rudess - claviers] qui a dit ça, même si je ne comprends pas bien pourquoi. C’était peut-être pris hors contexte, sur un moment ou un son précis. Je ne suis pas un grand fan de gothique. Des groupes comme Type O’ Negativ ou Evanescance… Ce n’est pas ma tasse de thé.
Comment placerais-tu le nouvel album dans la discographie de Dream Theater ? Est-ce plutôt la continuité des précédents ou le début d’une nouvelle ère ?Clairement la continuité des précédents. C’est juste l’album suivant, là où nous en sommes, en 2009. Comment cela supportera l’épreuve du temps, on ne le sait jamais jusqu’à ce que ce temps soit venu. Cela prend quelques années pour voire comment les albums s’inscrivent dans le reste. On verra à ce moment là.
C’est le deuxième album avec Roadrunner, qu’est-ce que cette collaboration apporte au groupe, si elle apporte quelque chose ?Elle n’apporte rien en termes de musique ou de créativité. Nous faisons l’album nous même et ils n’entendent pas une seule note jusqu’à ce qu’on leur remette. Et même si certains m’envoient des mails ou me téléphone pour demander de passer au studio, je ne réponds pas. Personne n’entend rien tant qu’on n’a pas fini. Donc cela ne change pas la manière de faire la musique, mais ce que cela change c’est ce qu’il arrive une fois que l’album est terminé. Dans le passé, nos précédentes maisons de disque faisaient leur boulot classique de vente du CD ou des places de concert mais ne faisaient pas de promotion du tout. Mais avec Roadrunner… me voilà ici à parler avec vous pour discuter du CD avant qu’il ne soit sorti. Il y a donc un certain niveau de marketing et de promotion qu’ils apportent au groupe et qui est la manière dont un label devrait traiter un groupe. Pour cela, c’est un bonne collaboration dont nous très content pour l’instant.
Si tu étais un fan de Dream Theater, et pas du tout impliqué dans le groupe, et que tu écoutais Black Clouds & Silver Linings, qu’en penserais tu ?C’est une bonne question. Cela dépend… Je ne sais pas… Je sais que nous ne sommes pas la tasse thé de tout le monde, que certains vont l’aimer d’autre non. Ce que Dream Theater fait en général, certains n’aiment pas ça. Je comprends, car ce sont de longues chansons, ce n’est pas le ‘son’ toujours populaire, la façon de chanter de James n’est pas forcément la plus populaire en 2009. Si je n’étais pas dans Dream Theater j’adorerais Dream Theater car il y a plein de choses à écouter. Pour moi, c’est une combinaison de tous les groupes que j’aime. Et c’est pour cela que nous sommes ce que nous sommes. C’est un peu de Rush, de Yes, de Pink Floyd, de Metallica, d’Iron Maiden. C’est ce qu’est Dream Theater, donc oui, j’adorerais Dream Theater si je n’étais pas dans le groupe. Concernant cet album, il y a tout ce que j’aime dedans, et c’est pour ça qu’il est ce qu’il est. C’est une extension de moi-même. C’est une question un peu étrange, mais je peux dire que je suis le plus grand fan de Dream Theater.
Tu parles beaucoup de tes gouts personnels, tu as parlé l’an dernier de tes albums favoris - je pense particulièrement à Death Magnetic. Est-ce que ces goûts ont un impact sur ta musique ?Tout ce que j’écoute va évidemment avoir un impact sur notre musique, dans mon approche. Tout ce que j’apporte dans un album - et c’est beaucoup en tant que compositeur, batteur et producteur - va avoir un impact. Mais ce n’est pas forcément les influences du groupe. Le fait que j’aime Slayer, Lamb of God, Sepultura n’apporte qu’une pièce au puzzle. Alors est-ce que Death Magnetic a un impact ? Cela a surement un impact sur ma perception de l’album, ce que j’apporte à la composition mais pas forcément sur le groupe. Je ne sais même pas si les autres l’ont écouté, peut-être un ou deux, mais pas les autres…
Concernant les albums que vous avez repris [Officials bootlegs], y a-t-il quelque chose de prévu à ce niveau là ?Non, car la seule raison pour laquelle nous faisons cela est lorsque nous passons deux soirs dans la même ville mais ce n’est pas prévu pour l’instant. Nous le ferons dans le futur si nous faisons deux dates dans la même ville mais rien de prévu pour l’instant.
Beaucoup de fans attendent la reprise d’un album de Rush, qui est l’une de vos plus grosses influences…C’est surement un des premiers choix de ma liste…
Parlons un peu des paroles du nouvel album…John Petrucci et moi les avons toutes écrites, et cinq des six chansons parlent juste d’histoires de la vie courante. La seule exception est A Rite of Passage, qui est une sorte de fiction, d’observation. Mais sinon A Nightmare to Remember est une histoire de John sur un accident de voiture qu’il a vécu étant enfant, Count of Tuscany parle de ce mec qu’il a rencontré en Italie il y a quelques années et qui avait peur pour sa vie. The Shattered Fortress, comme je l’ai dis, raconte les dernières étapes, The Best of Times est une chanson pour mon père qui est décédé pendant que l’on faisait cet album, Wither parle de l’angoisse de la page blanche, de ne pas être capable de s’exprimer. Donc ce ne sont que des histoires tirées de nos sentiments, nos émotions, nos vies.
Vous êtes toujours considéré comme un groupe progressif, mais cela veut-il dire quelque chose de spécial pour toi ? Te sens-tu progressif toi-même ?Le mot « progressif » est différent en 2009 de ce qu’il était en 1973. En 1973, c’était des groupes comme Genesis, Pink Floyd, Yes, Emerson Lake & Palmer. Maintenant le mot s’est élargit pour décrire des groupes comme Mastodon ou The Mars Volta jusqu’à Radiohead. Le progressif est maintenant plus un état d’esprit, une façon de penser qui sort de l’ordinaire, se donner plus de challenge, faire des choses différentes. Je pense que Dream Theater est définitivement progressif dans le sens où nous écrivons des chansons de vingt minutes, nous combinons heavy et prog… Donc je n’ai pas peur du terme, j’ai nommé la tournée d’après lui. C’est quelque chose que nous sommes. J’y crois et j’en suis fier.
Les Silver Linings (ndr : rayons de lumière) sont-ils quelques chose de particulier dans le monde d’aujourd’hui ?C’est une expression ‘Every cloud has a silver lining’, ce qui veut dire que dans chaque mauvaise situation tu peux retirer quelque chose de positif. Cela s’applique aux paroles de l’album tu vois. On parle de perdre quelqu’un d’aimé, mais de repenser aux bons moments, de se battre contre l’alcool et de comment tu peux t’améliorer grâce à ça. ‘Every cloud has a silver lining’… quelle que soit la situation, tu peux en retirer quelque chose de positif. C’est toute la philosophie de ce titre.
Est-ce toi qui choisi les groupes pour la Progressive Nation ?Bien sûr oui, c’est mon bébé, et j’ai toujours choisi chaque groupe qui a tourné avec nous. C’est toujours mon choix.
Le choix de Unexpect est… inattendu ! (ndr : en anglais « Unexpect is… unexpected !)Prenons du début : Opeth. Avec la progressive nation j’ai toujours voulu un groupe à nos coté qui avait déjà un nom et avait tourné avec nous. Donc Opeth était un bon choix, car ils ont tourné avec nous l’an dernier. Ils sont très compatibles musicalement, personnellement nous nous entendons bien. J’adore Mickael [Akerfeldt - Opeth/Chant & Guitare] qui est un de mes meilleurs amis, bref j’adore le groupe. Mais le premier critère de choix pour moi était de prendre des groupes un peu inconnus qui peuvent profiter de cette exposition. Et Unexpect est un groupe que j’ai découvert il y a quelques années et qui m’a complètement scotché. La qualité musicale et les éléments extrêmes et délirants… j’ai su que c’était vraiment unique donc j’ai trouvé qu’ils seraient bien sur l’affiche. Et Bigelf est un de mes groupes favoris, un des mes albums de l’année. Ils combinent des éléments old school et retro - Pink Floyd, Black Sabbath, Deep Purple - et un hard rock vraiment psychédélique. Donc je voulais les avoir sur l’affiche pour leur donner un peu d’exposition.
Un merci très particulier à Struck et Jester de Musicwaves. Merci également aux membre de Musicwaves et de Your Majesty qui ont inspiré, volontairement ou non, certaines questions. Merci enfin à The Undertaker de U-zine qui nous autorise à vous faire profiter de la vidéo de cette interview. Ça se passe ici.