Neuf ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Skunk Anansie pour revenir en studio - mais pas pour ressasser le passé. "The Painful Truth" n’est ni un retour nostalgique, ni un simple prolongement. C’est un album de rupture. Une cassure volontaire, choisie. Skin l’a dit sans détour : si le groupe ne revenait pas avec un projet qui aille plus loin, plus haut, plus vrai, il valait mieux ne pas revenir du tout. Ce positionnement artistique fort irrigue tout l’album, de la première note à la dernière expiration.
Et justement, la première note, c’est 'An Artist Is An Artist', brûlot ironique et lucide, déclaration d’indépendance face à une industrie musicale qui broie l’authenticité au profit de l’algorithme. Un riff nerveux, une basse obsédante, une Skin mordante et fière : l’identité est posée d’emblée. Ce titre, comme d’autres sur l’album, refuse le confort et les postures. Il questionne le rôle de l’artiste à l’ère du buzz, tout en affirmant une liberté totale. Skunk Anansie ne veut pas "faire moderne", il veut faire juste.
Musicalement, le groupe explore sans s’égarer. L’énergie brute côtoie des textures nouvelles, plus abstraites, parfois industrielles ('Animal'), parfois groovy et désarmantes ('Shoulda Been You'). Ce n’est pas une révolution sonore, mais une densification. Une sorte d’épure puissante. Sous la houlette de David Sitek (TV On The Radio), le son gagne en complexité, en contraste, en relief. Le groupe semble s’être offert une mise à nu volontaire, en enregistrant loin de la ville, dans une ferme du Devon, où le silence et l’isolement ont permis à l’essentiel de remonter à la surface.
Et l’essentiel, chez Skunk Anansie, c’est Skin. Sa voix reste ce miracle d’équilibre entre force brute et émotion nue. Elle attaque, se replie, gronde, éclate, s’efface. Elle donne corps à cette "vérité douloureuse" dont parle le titre, et qui parcourt tout l’album. Dans 'Can’t Take You Anywhere', elle claque comme une gifle. Dans 'Meltdown', elle se retire lentement, laissant un vide poignant, comme une blessure à vif. Peu d’interprètes aujourd’hui peuvent se targuer d’une telle présence vocale, à la fois terrienne et spectrale.
Mais au-delà des morceaux, c’est l’esprit de cet album qui marque. Trente ans de carrière plus tard, Skunk Anansie n’a plus rien à prouver. Et c’est sans doute ce qui rend ce disque si libre. On y sent le plaisir retrouvé de jouer ensemble, la volonté de faire autrement, la nécessité de se surprendre soi-même. Le projet a failli ne pas voir le jour, et c’est peut-être ce sursaut - intime, fragile, vital - qui lui donne sa tension si particulière. Le contexte personnel de Cass Lewis, discret mais présent en filigrane (il composait pendant une chimiothérapie), n’est pas mis en avant, mais il apporte sans doute à l’album cette gravité douce, cette sincérité à fleur de peau. Rien n’est surjoué ici, tout est à hauteur humaine.
"The Painful Truth" n’est pas un album de plus : c’est une œuvre de conviction. Profondément sincère, courageusement inconfortable, viscéralement humaine. Skunk Anansie y sonne plus vivant que jamais - parce qu’il ne cherche plus à convaincre. Juste à dire. Et à toucher.