IGORRR: Amen (AUTRES EXTREME) : avis / chronique à lire sur Music Waves

Cinq années se sont écoulées depuis "Spirituality And Distortion", cette grande roue musicale qui nous avait laissés hagards et conquis. Entre-temps, le line-up d’Igorrr a connu de profonds bouleversements : Laurent Lunoir, Laure Le Prunenec et Sylvain Bouvier ont quitté le navire. Gautier Serre a donc dû recruter : JB Le Bail au chant extrême, Marthe Alexandre pour les parties lyriques, ainsi que de nouveaux musiciens. Si ces changements ne passent pas inaperçus sur ce nouvel album "Amen", qui s’avère globalement plus sombre que son prédécesseur, ils peinent paradoxalement à donner un nouveau souffle au projet déjanté de son concepteur. En effet, "Amen" a beau être une fois de plus techniquement irréprochable, il pose pourtant la question de savoir si la proposition musicale de Gautier Serre n’aurait pas atteint les limites de son propre concept.

Une chose est sûre, le problème ne réside pas dans l'exécution. La production demeure phénoménale, les textures sonores toujours aussi recherchées et tous les ingrédients du cocktail Igorrr sont bel et bien présents : le mélange de metal extrême et de musique baroque, les ruptures rythmiques brutales, les chœurs lyriques surgissant au milieu du chaos, les passages orientaux noyés sous les blasts, et même parfois une gravité relativement inédite dans certains titres (‘Daemoni’, ‘Infestis’, ‘Limbo’).

Et pourtant, quelque chose cloche… Que l'effet de surprise se soit émoussé est bien normal après cinq albums. Mais avec "Amen", le bricoleur génial assemble désormais les mêmes pièces selon des configurations certes différentes, mais prévisibles. Les ruptures de ton sont devenues des tics de production (‘ADHD’). Le piano broyé par une pelleteuse sur ‘Headbutt’ sent l’improvisation d’un artiste qui ne sait plus trop comment se distinguer. Et la fusion du sacré et du profane, sous-tendue par des explosions baroques et des déferlantes électroniques, sont devenues des formules toutes faites, presque familières.

Igorrr a toujours incarné cette liberté totale, ce refus viscéral des conventions, ce plaisir de sale gosse de mélanger des influences incompatibles avec une audace confinant à l'insolence. Sur "Amen", Gautier Serre reste techniquement irréprochable, ses compositions demeurent d’une densité impressionnante, avec un sens du détail intact depuis toutes ces années. Pourtant, l'album donne l'impression étrange d'un artiste qui perfectionne son style plutôt que de le transcender. Les contrastes continuent de fonctionner, la virtuosité impressionne toujours (‘Blastbeat Falafel’ reste un tourbillon jubilatoire, ‘Limbo’ atteint des sommets d'intensité), mais l'on devine désormais les coutures là où, auparavant, la magie opérait sans qu'on en comprenne les mécanismes.

"Amen" est un album de qualité, personne ne viendra le contester. Il témoigne d'un savoir-faire indiscutable, d'une cohérence artistique remarquable et d'une production aux petits oignons. Il ravira sans aucun doute les fans inconditionnels et séduira les néophytes par sa richesse foisonnante, mais il laissera les observateurs attentifs sur une légère frustration. Car si Igorrr continue d'imposer sa singularité dans le paysage musical extrême, il semble désormais davantage tourner en rond que parcourir des territoires inexplorés. Reste à espérer que ce n'est qu'une étape, un temps de consolidation avant une nouvelle révolution. L'avenir nous le dira...

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