Depuis 2019, Robert Plant tourne sous la bannière Saving Grace qui s'est donnée pour profession de foi de rouvrir les pages du livre des traditions musicales américaines, un ouvrage qui commençait à prendre la poussière. Si l'aventure a été contrainte à faire du surplace en raison du Covid, l'ex-chanteur de Led Zeppelin a annoncé la date du 26 septembre 2025 comme celle de la sortie d'un premier album crédité des noms de Robert Plant et Suzi Dian et enregistré au Pays de Galles.
Robert Plant aime les voyages. "Saving Grace" nous fait traverser des failles spatio-temporelles en ravivant la voix de la tradition. Les reprises qui sont proposées sont aux yeux des néophytes tout sauf des standards. Il serait donc impossible d'accuser un Robert Plant à court d'idée de se livrer pieds et poings liés à l'un des deux exercices de style préférés des chanteurs en détresse (le second de ceux-ci est la réinterprétation de ses chansons en duo). Nous retrouvons pêle-mêle Martha Scanlan, Bob Mosley ou encore Blind Willie Johnson. Le choix du répertoire nous permet de profiter d'un éventail assez large de genres : country, folk, blues. Ces morceaux exhumés du passé nous parlent d'une époque américaine pas si lointaine. L'émotion est à fleur de peau, l'accent étant placé sur un minimalisme
acoustique. La guitare nous offre des motifs clairs et
éclatants ('As I Roved Out', 'Too Far From You' ponctués de jolies échappées en solitaire),
la section rythmique est dynamique, faisant quelquefois parler la poudre.
La voix grave de patriarche se fait conteuse et nous sommes prêts à la suivre jusqu'aux frontières de l'aube ('Soul Of A Man'). Cet esprit n'est jamais sentencieux et se fait revitalisant comme si par un dimanche sombre dans une maisonnette perdue au milieu de la campagne, des spectres bienveillants venaient nous partager leurs récits de vivants et autres cicatrices. La voix enchanteresse de Suzi Dian est un atout de charme. Les deux interprètes semblent fusionner en une seule voix, davantage que dans l'épisode Alison Krauss (It's A Beautiful Day', 'Ticket Taker', 'I Never Will Marry'). Les deux interprètes s'offrent à nous avec leur fragilité, leur vulnérabilité, En somme il n'y a pas de tricherie et ce rapport de confiance est honoré pour le plus grand plaisir de nos oreilles, notamment sur le sommet émotionnel l'incandescent 'Everybody's Song'. Beau joueur, Robert Plant laisse sa partenaire vocale prendre un peu de hauteur sur 'Higher Rock'. Nous pourrions toutefois relever quelques instants monotones en première partie de l'album, l'esprit minimaliste pouvant laisser éclater en nous la fausse impression que nous écoutons le même morceau en boucle.
Ne lui parlez pas de retraite ! 77 ans au compteur, Robert Plant, en compagnie de sa formation Saving Grace, a toujours soif d'arpenter de nouveaux territoires et de nous ramener des perles aussi éclatantes que rutilantes d'une tradition musicale dont il s'est fait le gardien. Comme le bison de la pochette, nous espérons l'entendre poursuivre sa quête aux confins des genres musicaux.