L’honnêteté oblige votre serviteur à reconnaître qu’il n’avait jusqu’à présent encore jamais entendu parler de Rýr dont "Disloged" est pourtant déjà le troisième effort, après "Left Fallow" (2019) puis "Transient" (2022). Malgré ce que pourrait laisser croire son nom islandais, le groupe est allemand et braconne sur les terres bien lessivées du post metal instrumental. Un de plus, s’exclameront certains.
A raison, d’autant plus que ces Berlinois ne sauraient contester les références qui sont les leurs, grosses comme des câbles à haute tension, telles que Russian Circles, Amenra et consorts. Riffs épais comme de la lave en fusion, affliction d’ambiances engourdies, montée en puissance granitique et forteresse sonore dictent ainsi un chemin (de croix) fortement balisé. Pourquoi alors s’attarder sur ce disque plus que sur une dizaine d’autres du même style ?
Parce que, déterminisme géographique oblige (peut-être), Rýr plonge ses ramifications dans un substrat à la fois glacial et austère, presque martial dans sa force blafarde. Il y a réellement quelque de chose de dur, d’implacable, d’oppressant même, dans ce post metal dont le caractère instrumental, loin de le vider de sa tension souterraine, lui confère au contraire des allures de bunker dressé dans une nuit au froid mordant. Telle est l’image qu’impose "Disloged", blockhaus massif aux nervures abrasives dont la noirceur désespérée qu’il charrie le rapproche finalement plus d’un sludge doom revendicatif.
Les Berlinois taillent au burin les paysages lourds et désolés d’une humanité rongée par la haine. Si elles se font parfois obsédantes (‘Flung’), les guitares ouvrent le plus souvent les vannes d’une marée noire qui poisse, contamine toute l’écoute placée sous le signe d’un abattement total, à l’instar de ce ‘Winded’ écrasant dont les timides velléités mélodiques sont étouffées par le ressac vicié d’une rythmique sévère.
Labourant la terre à coups de boutoir convulsifs qui impriment une cadence plus dynamique, ‘Lapsed’ ne peut pourtant s’affranchir de cette inexorabilité apocalyptique qui l’abîme dans les profondeurs d’un gouffre nihiliste sans aucun espoir de retour. Guitares tout en tension et batterie qui s’écrase contre une falaise noire, ‘Foiled’ répand une égale atmosphère crépusculaire et déprimante.
Loin d’un post metal aimable, "Disloged" ne fait pas rire du tout, sculptant un édifice tendu et taciturne, gonflé d’une sève à la fois contemplative et corrosive. Entre doom, sludge et drone, Rýr n’est donc pas un groupe de plus dans un genre très encombré.