Avec "Etat d’Âme", François Cardon avait déjà montré sa capacité à créer des ambiances progressives marquées par la mélancolie et le respect de ses influences. Ce premier disque, diffusé hors des sentiers battus, portait en lui la sincérité et la fragilité de ces projets façonnés avec passion plus qu’avec moyens. Avec Corpus et cet album "Profondeurs & Courtoisies", François Cardon s’associe à Stéphane Bessis et franchit une étape : on quitte le registre du projet solo pour entrer dans une œuvre plus ambitieuse, construite comme un véritable album de rock progressif.
L’album revendique d’emblée son appartenance à cette tradition : deux parties bien distinctes, comme deux faces de vinyle, qui se répondent en miroir. Dans "Profondeurs", les sons de l’eau introduisent une plongée dans l’introspection ('Oublier'), avant que la neige devienne métaphore poétique des tourments de l’âme ('La Neige'). Le piano lumineux et le solo de guitare au timbre chaleureux de 'Les eaux calmes' marquent l’un des moments les plus aboutis, tandis que les nappes de claviers et la dramaturgie vocale de 'Moi je veux' rappellent fortement les grandes heures de Genesis. Cette première partie, dense et lyrique, témoigne d’une volonté de renouer avec l’héritage progressif français des années 1970, notamment celui d’Ange, sans jamais s’y enfermer.
La seconde moitié, "Courtoisies", s’ouvre sur une respiration apaisée : la pluie s’interrompt, les oiseaux chantent, et les arpèges se font plus légers pour accompagner un lyrisme romantique ('Ma Dame'). Le disque gagne alors en ouverture, quittant les paysages tourmentés pour aborder des thèmes plus tendres et lumineux. 'Beaucoup de toi' apporte une énergie rock dansante qui évoque Ange des années 1980, quand le groupe cherchait à élargir son spectre. Avec 'Homme d’affaires', Corpus assume son morceau le plus frontal, porté par une ironie grinçante et une urgence qui évoque l’esprit d’un Noir Désir et son 'Homme Pressé' revisité à la sauce progressive. Mais très vite, l’ensemble retrouve un souffle aérien : 'Je vous aime' déploie des claviers lumineux dans la plus pure tradition de Genesis, avant que 'Reste là' ne conclue l’album dans la sérénité, porté par un piano épuré et une évolution électro-acoustique qui glisse doucement vers l’apaisement.
Les ambiances sonores jouent un rôle narratif à part entière, comme un fil rouge : l’eau qui coule en ouverture, la neige, la pluie puis les oiseaux après l’averse. Cette omniprésence de l’élément liquide trouve un écho jusque dans la pochette, qui rappelle celle du "Wet Dream" de Richard Wright, (ou encore plus proche Vola avec "Applause Of A Distance Crowd") où une silhouette féminine semble flotter dans un univers aquatique. Ici aussi, l’eau devient métaphore des tourments, des transitions et enfin de l’apaisement, liant le fond et la forme avec une cohérence remarquable.
Si François Cardon et Stéphane Bessis portent le projet, ils ne sont pas seuls : l’apport de Pascal Raggi, Chantal du Beux (tous deux à l'écriture de deux titres) ou Jose Vicente Gonzalez renforce la cohérence de l’ensemble. Ces collaborations, loin d’être anecdotiques, ajoutent une richesse supplémentaire à l’écriture et à l’interprétation, confirmant que Corpus est bien un travail de groupe, pensé comme une œuvre collective et habitée. Certes, la production demeure artisanale, avec un son qui manque parfois d’ampleur, et les voix gardent une fragilité qui pourra surprendre. Mais loin d’affaiblir l’ensemble, ces choix renforcent le caractère sincère et intime du projet. Corpus se distingue justement par cette authenticité : une œuvre pensée avec passion, loin des excès techniques, privilégiant l’émotion et la narration.
Avec "Profondeurs & Courtoisies", Corpus signe un album qui assume ses racines sans les figer. Plus ambitieux et structuré que son prédécesseur, cette œuvre dorénavant collective illustre à quel point le rock progressif français, même loin des projecteurs, peut encore se nourrir de passion et de sincérité pour toucher l’auditeur. Il a de fortes chances de séduire les amateurs de rock progressif historique, tout en offrant assez de sensibilité et de fraîcheur pour interpeller ceux qui se laisseront porter par son authenticité. A écouter ici